– Tu me fâches, Marcel! Marcel, tu décontenances le sens de ma vie! Tu l’as gâtée, Marcel!
(Silence)
– Ça, c’est tout, Marcel?
– Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait. Un homme qui dort tient en cercle autour de lui le fil des heures, l’ordre des années et des mondes.
– Mais c’est beau! Parce que les temps de ta vie se sont melés et ta folle perception du temps a fait de toi un aveugle, tu n’as pas le droit de me détruire comme ça.
– Ces évocations tournoyantes et confuses ne duraient jamais que quelques secondes.
– Moi, je me tuerai, Marcel! Marcel, j’envoyerai ma vie aux cieux! Tu le vois bien! (en se rapprochant de la fenêtre)
– (En parlant tout doucement) Ne dites pas ça. Ne faites pas ces yeux-là, mon cher. Sortez à la recherche de votre temps perdu.
– Je n’ai même pas de temps, je crois que je n’en ai jamais eu. Le réel m’a abandonné: je regarde plus, j’écoute plus, je touche plus, je goûte plus, je sens plus…
– Vous avez besoin de vous faire porter à vos lèvres une cuillerée de thé où un morceau de madelaine s’est amolli.
– (Silence dramatique, lèvres tremblentes) Tu n’as pas honte de se moquer de moi dans l’état déplorable que je me trouve ou tu crois vraiment (criant et pleurant désespérément) qu’un morceau de <<ma-de-lai-ne>> va adoucir ma vie??
– Longtemps, je me suis couché de bonne heure…
– Bonheur, bonheur…
– Bonne heure! Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait. Un homme qui dort tient en cercle autour de lui le fil des heures, l’ordre des années et des mondes.
– Bonheur, bonheur…
De loin, on a vu un petit corps qui s’est jeté du dixième étage d’un haut bâtiment. Une demi-heure après, il s’est reveillé, s’est levé et a continué sa promenade dans les jardins fleuris.
Lorenzo Baroni Fontana