L’effondrement de l’empire de la papaye

Avertissement : ce texte contient des propos ironiques et quelques obscénités pouvant provoquer quelque bouleversement dans la relation du lecteur avec l’objet en question. L’auteur du texte décline toute responsabilité quant aux effets qui éventuellement pourraient se produire suite à sa lecture.

Personne ne doute – au moins aux Amériques, son origine (notre origine) – que la papaye soit l’un des fruits les plus agréables aux papilles et, de surcroît, l’un des meilleurs régulateurs, parmi les aliments, du bon fonctionnement du système digestif. Voilà l’argument rationnel – très à portée de la main pour l’enfant que j’étais alors – que mon père m’apporta le matin où il me fit goûter ce fruit magique pour la première fois. En effet, cette baie ovoïde charnue mi-jaune mi-orange, couronnée de nombreuses petites graines noires, qu’il avait déposée sur la table devant moi donnait l’envie. Puisque l’autorité – consentie par l’âge et non pas par le comble du bon sens ou de l’intelligence – m’avait instruit sur les avantages de cette merveille dont la vue ne me déplaisait pas, d’ailleurs, je me résolus à établir sa rencontre avec ma vie intérieure de la bouche. Déjà le contact de ma langue avec le mucilage blafard et visqueux qui enveloppe la pulpe m’évoqua l’image de mon père, un mauvais et néfaste journal à la main, traînant les jambes pour aller chaque jour, comme d’habitude, déféquer dans la salle de bain. La faute à lui, du moment que c’est lui qui avait fait en sorte que j’élabore ce rapport grotesque dans ma mémoire involontaire en soutenant sans relâche, stupidement tel qu’un pantin ridicule, les qualités du fruit concernant aux intestins. Et ce, après être venu de la cuvette le petit matin.

Depuis lors j’ai tenté de m’entendre avec ce fruit tropical, en essayant d’éloigner deux pensées divergentes qui s’étaient associées. De jour en jour, de petit déjeuner en petit déjeuner, là où il triomphe seul, les choses se sont enfin arrangées, quoique son mucilage me soit encore un peu déroutant. Il suffit de les laisser de côté, lui et les petites graines accommodées sur sa cavité, en grattant la surface du creux de la baie avec une cuillère. Ça y est ! Encore un traumatisme affectif surmonté. Je peux recommencer à écrire mon histoire. En tout cas, ce qui me ferait revenir c’est plutôt la rencontre que j’aurais à entreprendre avec le papayer – le charmant et imposant arbre de la papaye – sur la pente d’une petite colline à Paraty, sur la côte sud-est du Brésil.

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Published in: on 31 mars 2015 at 14 h 09 min  Laissez un commentaire