Raisonner, ce n’est pas cultiver ou la raison n’est pas une fleur

Je voudrais savoir lequel est le pire, ou d’être violée cent fois par des pirates nègres, d’avoir une fesse coupée, de passer par des baguettes chez les Bulgares, d’être fouetté et pendu dans au auto-da-fé, d’être disséqué, de ramer en galère, d’éprouver enfin toutes les misères par lesquelles nous avons tous passé, ou bien de rester ici à ne rien faire ? (pp. 116-117)[1]

[…] Le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin. (p. 119)

[…] quand l’homme fut mis dans le jardin d’Éden, il y fut mis ut operaretur eum, pour qu’il travaillât, ce qui prouve que l’homme n’est pas né pour le repos. – Travaillons sans raisonner, dit Martin, c’est le seul moyen de rendre la vie supportable.  (p. 120)

 

À la fin du conte, le philosophe Pangloss tâche encore de raisonner sur des événements catastrophiques qui leur sont arrivés en les prenant comme importants pour que les personnages puissent en tirer profit et améliorer leurs vies à travers la raison et la comparaison ; ce à quoi Candide répond qu’il vaudrait mieux se taire et cultiver le jardin. Une morale s’y éclaircit enfin : travailler pour atteindre le bonheur et pour fuir l’ennui. Si je n’ai pas tort, cela veut dire que si on raisonne, on s’ennuie et on meurt ; si on travaille, on s’occupe de la vie même et on s’en réjouit.

Si mon arrière-grand-père, cultivateur indépendant de vignes, avait pu me voir aujourd’hui, il m’aurait sans doute giflé jusqu’à ce que je tombe. Je ne sais ni cultiver ni récolter, ni du blé ni des fleurs. Je suis dans une université pour connaître tous les bons raisonnements au monde, mais je ne saurais absolument pas me procurer ni de la nourriture ni de la beauté d’un jardin. En effet, le repos est la contrepartie du travail, et la réflexion est la conséquence du repos. L’ennui vient du fait de ce qu’il est impossible de vivre et de réfléchir de la vie à la fois. J’aimerais bien que mon arrière-grand-père fût là, encore vivant, pour qu’il pût me battre tout en me disant que, si je n’apprendrai pas à cultiver mon jardin, je mourrai ou de faim ou d’ennui.


[1] VOLTAIRE. Candide – présentation et dossier-jeu par Laure Meysselle. GF Flammarion, Paris, 1998.

Lorenzo Baroni Fontana

Published in: on 3 septembre 2013 at 1 h 59 min  Laissez un commentaire  
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