Les déplacements des vérités culturelles

À partir de la certitude de la méthode expérimentale de tenir la vérité observée et mise en expérimentation, tel qu’Émile Zola a décrit dans Le roman expérimental, je désire poursuivre une sensation personnelle concernant le manque d’identité de notre temps, sans doute à cause de l’abscence d’une vérité rassurante et absolue en dehors de l’âme, soit dans le domaine de la culture, soit dans le domaine de l’individu. Je me soutiendrai dans les changements que la relation avec la vérité a subis chez les artistes depuis Zola, ainsi que les changements généraux des temps, qui modifient la conscience d’une époque.

À la fin du XIXème siècle, Émile Zola a soutenu que toutes les manifestations de l’intelligence humaine se dégageaient peu à peu de l’empirisme pour se fixer dans la vérité – fixe et déterminée. Effectivement, cette époque a connu le développement des méthodes scientifiques qui cherchait par-dessus tout les explications des faits sensibles et plutôt l’élucidation de toutes les vérités possibles des phénomènes du monde. La vérité chez Zola signifie montrer le développement d’un phénomène en le faisant passer devant les yeux du lecteur pour qu’il se rassure de sa réalité et sa cause. Je crois profondément que le problème philosophique par rapport à la capture de ce qu’il appellait la vérité déterminée ait été le sujet le plus frappant à lui pour construire ses romans, au point d’avoir emprunté à la physiologie de son siècle sa méthode d’expérimentateur. Le subjectivisme dans les œuvres de l’esprit ne semble pas prendre aucune place considérable ici. Zola prend la place d’un observateur détaché de la réalité qu’il observe, en tenant compte que la réalité qui se glisse devant lui soit complètement écartée de lui-même et pas influée du tout par son propre regard.

Par contre, les bouleversements sociaux ténebreux qui auraient lieu surtout à partir du début du XXème siècle tels que la prise de conscience du péril des conséquences que le caractère impérialiste des pays entraînent ont provoqué un changement dans la manière de considérer les donnés sensibles qui se présentaient devant l’âme d’un homme. Dès ce moment-là, il semble que le monde réel – d’où on croyait que les phénomènes arrivassent à quelqu’un pour faire naître la certitude de la vérité saisie – s’est dissous dedans la matière sensible du sujet et s’est même mélangé dans son monde particulier et intérieur indépendant. Il se rend compte qu’il n’y a pas de monde lisible en dehors de soi-même et il se transforme en source primaire et sans rival pour s’exprimer et pour exprimer ce qu’il considère la vérité. Ensuite, rien ne lui suffit plus, aucun moyen d’expression, la langue n’est plus capable d’exprimer la désordre interne. Ce que je ressens je rangerai en un code qui me convient, puisque j’ai un monde propre qui m’appartient et duquel je me rapproche chaque fois que je tâche de l’ordonner. Ce fut probablement la racine des sentiments troubles qui ont dérangé les artistes du commencement du XXème siècle tels que Marcel Proust. À cette époque-là, on cherchait véritablement une façon d’être soi-même devant les renversements des valeurs entraînés par la vitesse des évènements économiques – qui, à son tour, modifie toute la façon de vivre d’un homme et même toutes les mœurs d’un peuple, d’une communauté.

Des changements déjà arrivés, c’est tout naturel que ses conséquences fassent naître au long du fil de l’Histoire la nécessité de rechercher le temps perdu, mais sans jamais le retrouver véritablement. Aujourd’hui je me pose la question de la vérité à une époque dépourvue d’identité, la conséquence de toutes les identités qui ont existé auparavant et qui se mélangent confusément. Ce pêle-mêle n’a pas de sens ni de raison et il est produit par la vitesse de notre époque, lorsque l’humanité a atteint son but et se fait présente tout de suite partout tout le temps, mêlé dans la foule du monde sans frontière et de laquelle elle ne peut pas du tout atteindre le cœur.

Pour le déterminisme de Zola, il ne suffit que la méthode scientifique pour se rassurer de la terre qui nous soutient. L’intelligence des déterministes était toujours sûre de tenir les explications de la nature à travers les outils inédits de la science. Selon Zola, une societé constituée sur ces bases pourrait toujours compter sur la connaissance scientifique pour s’expliquer ou pour se sauver de ses maladies, compte tenu du fait que la méthode expérimentale a un caractère universel applicable à tous les coins de la toile de la vie, et ainsi bien partout la societé humaine et la vie individuelle. Le corps social fonctionne structurellement, ainsi qu’un corps organique d’un animal et c’est pour cela que, pareille à ce dernier, la societé humaine peut être analysée comme tel. La vérité déterministe est cherchée pour résoudre les problèmes et pour mettre tout en ordre selon la nature.

En revanche, à mesure que le temps passe, les expériences sur la vie changent et qu’une nouvelle conscience s’avance sur les autres, on peut dire qu’il reste toujours des grains des vieilles idées, soutenues pour être combattues ou suivies. Dans le domaine de l’art et de la culture, le XXème siècle s’est réveillé avec les cris du surréalisme las des moules positivistes d’hier qui, à son tour, se sont moulés d’ailleurs selon la même idée du besoin d’un modèle pour la représentation artistique conçue depuis le classicisme. Néanmoins, le XXème siècle a offert autant de nouveautés et de libertés qu’il a laissé son fils misérablement sans soutiens, sans aucune force pour discerner, et voilà le XXIème siècle qui se réveille sans identité propre, mais riche de passés, riche de Proust, de Zola, de Baudelaire, d’André Breton. Vous devez choisir lequel parmi eux vous souivrez – ou si vous désirez suivre des petites parties de chacun –, mais vous n’oserez jamais tâcher de connaître profondément les chemins que votre âme désire prendre, car la manque d’auto-connaissance est la clé de votre temps. Je ne crois pas qu’il s’agit de quelque chose définitive, mais c’est véritablement un symptôme de notre temps.

À quoi se soutenir alors quand la science et la méthode expérimentale n’ont pas atteint sa réussite en ce qui concerne les affaires de l’âme et de l’homme en societé, telle que l’a promise Zola? Et encore, à quoi se soutenir quand la vélocité du monde incite l’âme au désordre qui ne peut plus se résoudre, et qu’elle anéantit complètement l’identité de cet âme? Jadis, Zola s’efforçait de trouver la vérité déterministe pour l’appliquer dans une conjoncture particulière d’une famille ou d’une societé pour mettre en lumière les problèmes, et ainsi essayer de les résoudre et mettre tout en ordre selon la nature. Par contre, nous cherchons aujourd’hui ce qui enchantait les temps avant les Lumières, à savoir des mythes, des histoires magiques avec des êtres merveilleux, des pierres philosophales, et surtout la fin du monde et des espèces. Nous nous réjouissons des mensonges primordiaux et nous les tenons comme des vérités possibles qui guideront notre regard sur le monde, mais avec une seule différence par rapport aux temps mythiques: nous savons que tout cela s’agit des vérités construites par le génie humain, autrement dit, des vérités culturelles qui expliquent le monde et qui nous permettent d’établir des contacts et d’agir vers et auprès ce monde.

Lorenzo Baroni Fontana

Published in: on 4 septembre 2012 at 22 h 14 min  Laissez un commentaire  
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