Foutaises (ce que j’aime et ce que je n’aime pas)

J’aime: sentir l’oreiller de ma mère; les rayons de soleil inclinés pendant l’hiver; l’odeur de la mer; le latin, le castillan, le toscan, l’occitan, le français et le portugais; le froid sec; le ton rougêatre du coucher du soleil; Rio de Janeiro et ses montagnes; Porto Alegre et son estuaire; regarder le paysage pendant que le bus roule; l’Amérique Latine; la musique soul; tâcher de lire les noms des stations de métro en français – Anangabo, Pierre Seconde et Bras; les tranches d’oignons bien cuites au milieu de la nourriture; les pommes de terre, les tomates et le poisson; le mot “crevette” et les crevettes elles-mêmes; le son [œ] du français; l’ancien nom “mouche à miel” pour l’abeille; rester dans les bras de mon mari avant de dormir; Platon, Sartre et Édouard Glissant; La Belle au bois dormant; les feuilletons télévisés mexicains en castillan; le chant des grenouilles et des crapauds; la musique baroque; Nina Simone, Anita Baker et Phyllis Hyman; les fraises – je passerais un jour entier en train de les manger; les jardins et la campagne; l’assiette de charcuterie; chanter, jouer et écrire.

Je n’aime pas: toucher et effleurer des serviettes sèches; les États-Unis par rapport aux autres pays du monde; les gros au milieu du chemin; le ciel gris; faire plusieurs choses en même temps; un peuple froid; les gens qui se prennent pour le roi; parler au téléphone; la laitue; les mauvaises odeurs; la foule et les bus pleins; les moustiques; les conneries; l’absence de bon sens; partager la salle de bain; entrer dans ma maison avec les mêmes chaussures sales de la rue; les boîtes de nuit et toutes sortes de bruits gênants tel que la circulation, les gens qui crient et la perceuse du voisin; les grandes villes; prendre l’ascenseur avec quelqu’un dedans en arrivant à la maison le soir; le soleil de midi le 21 décembre sur le Tropique du Capricorne; les journaux brésiliens; Roberto Carlos et Beyoncé (les deux ensemble, ça serait épouvantable); enlever la poussière; la moindre idée d’attraper un rhume – je suis presque un hypocondriaque; prendre une douche en pensant à ce qu’il y a à l’intérieur du corps – surtout du cerveau; les aliments crus; les cauchemars.

Lorenzo Baroni Fontana

Cela n’a aucune importance pour personne; cela, apparemment, n’a pas de sens. Et pourtant tout cela veut dire: mon corps n’est pas le même que le vôtre. Ainsi, dans cette écume anarchique des goûts et des dégoûts, sorte de hachurage distrait, se dessine peu à peu la figure d’une énigme corporelle, appelant complicité ou irritation. Ici commence l’intimidation du corps, qui oblige l’autre à me supporter libéralement, à rester silencieux et courtois devant des jouissances ou des refus qu’il ne partage pas.

.
(Une mouche m’agace, je la tue: on tue ce qui vous agace. Si je n’avais pas tué la mouche, c’eût été par pur libéralisme: je suis libéral pour ne pas être un assassin)

Roland Barthes