Quinze minutes

São Paulo, le 20 novembre 2012

Aujourd’hui, exceptionnellement, j’ai eu à prendre le métro lors de l’heure de pointe du soir, la plupart des vingt millions d’habitants de ce coin de monde se déplaçant pour rentrer à la maison, essayer de laisser reposer le corps et revenir demain au but de leurs vies. Curieusement, le wagon où je me suis installé était presque vide, ce qui m’a positivement étonné, et il n’y avait que cinq personnes que mon regard pouvait toucher : un groupe de trois filles, âgées de quinze ans environ, debout près de la porte et un couple assez mature et posé, assis sur les deux sièges à côté de moi. Alors que je tâchais de découvrir ce monde qui m’environnait, je pensais à ma vieille metteuse en scène qui me dérangeait quand elle me disait d’une voix aiguë et perçante que j’étais d’un caractère fort observateur.

Les trois adolescentes, surplombées par des sacs à dos, tenaient des livres et discutaient à haute voix d’un copain de classe ou d’un maître peut-être, ce qui leur faisait rire, crier, railler, en sautant, de temps à autre, pour exprimer leur excitation, malgré le train en marche. Elles étaient d’une mine éclatante de joie et pouvaient à peine contrôler leurs gestes légers, lorsqu’une d’entre elles racontait une drôle d’histoire concernant l’un de ces hommes.

En revanche, le couple d’à côté ne disait mot. Puisqu’ils ne se parlaient pas, je n’étais pas sûr s’il s’agissait véritablement d’un couple. L’homme avait les yeux fermés et une allure toute molle, peut-être à mi-chemin entre l’état de veille et de sommeil, accablé d’une fatigue mentale, morale ou physique. La femme, par contre, était toute éveillée et raide, bien que, dans un moment, il m’a semblé que, tout d’un coup, elle eût failli perdre connaissance. Elle jetait souvent un œil fixe et creux vers ces trois gamines souriantes, sans doute agacée par leurs éclats de rire et leur énergie encore enfantine.

Quinze minutes s’étaient déjà écoulées, lorsque ma station est annoncée et que j’ai dû me lever pour gagner la porte. Je suis sorti du wagon à pas lent en songeant à la convivialité immanquable dans une ville qui rassemble des groupes si hétérogènes dans ses veines. Subitement, j’ai été franchement réjoui, pour la première fois, d’être libre et singulier dans un pays qui m’a très bien accepté et accueilli et j’ai décidé que ça devrait être pareil partout dans le monde.

Lorenzo Baroni Fontana

Published in: on 20 juillet 2013 at 20 h 37 min  Laissez un commentaire