La découverte de l’art d’être un homme

L’enfant découvre ce que c’est la nature d’un être humain

Le jour où la meilleure amie à ma maman était venue lui rendre visite et qu’elle m’avait pris sur ses genoux tout en lui disant que j’étais le plus joli petit mignon qu’elle eût vu, je réalisai qu’elle faisait semblant d’être gentille et que moi, à mon tour, je faisais peut-être, à cette occasion-là, semblant d’être le fifils de ma maman, quoique je ne fusse pas encore conscient de mon rôle. Ce jour-là, je fus amené à conclure qu’il était amusant de choisir un rôle différent à jouer à chaque circonstance vécue, surtout lors des enjeux hypocrites auxquels les adultes aimaient à se livrer. Un arbre est un arbre depuis l’étape de germination de la graine et, à ce que je sache, les arbres se sont toujours tous ressemblés dans leur passivité et dans leur obéissance végétale et immobile, alors qu’un homme peut faire agir un autre personnage que le sien, c’est-à-dire son vrai caractère, selon les circonstances. C’est sans doute depuis ces événements de mon enfance que je commençai à tromper Dieu, le pouvoir caché qui connaissait magiquement et qui jugeait tous mes secrets, mes tabous et mes méchancetés : je jouais le bon fils qui ne souhaitait que du bien à son père. Bien que j’eusse pris le risque d’être découvert, puisque Dieu était omniprésent et surveillait tout, même ce qui lui était laborieusement caché, j’essayais de croire à ce que je lui disais dans mes prières. Et je réussissais. Dieu était plus renseigné sur moi que moi-même, mais l’homme avait le pouvoir de jouer, de feindre d’être d’autres hommes.

Lorenzo Baroni Fontana

Published in: on 19 Mai 2013 at 5 h 27 min  Laissez un commentaire  
Tags:

En fouillant dans les affaires des autres…

Ma chère et bien estimable Emma,

Je vous avoue d’avoir cogité si longtemps avant de ne risquer d’écrire une seule ligne de cette lettre. Je réfléchissais à notre dernier rendez-vous à la campagne et à votre disposition d’esprit dont je garde encore la fraîcheur. Vous m’aviez demandé à l’occasion de cette rencontre si le bonheur nous était impossible, à nous, nous qui nous jetons toujours dans toutes sortes de fantaisies. Je vous répondrais qu’un jour on le rencontre, soudainement, quand on en désespère. Aujourd’hui, devant moi, les horizons s’entrouvrent, j’entends une voix qui me crie son existence. Je sens tellement le besoin de vous faire la confidence de ma vie, de tout vous donner, de tout vous sacrifier. Chaque fois que votre figure frappe mes yeux, je me sens découvert, fleurit une partie cachée de mon être qui est la légèreté et le bonheur dans tout son état de pureté. Je vous vois dans tous mes rêves.

Je me rends enfin compte que le trésor que j’avais tant cherché était là devant moi et qu’il brillait, qu’il étincellait sans cesse tel qu’une étoile éternelle. Je m’en suis encore méfié, cependant, je n’ai osé y croire, je suis resté ébloui, comme si j’étais sorti des ténèbres à la lumière. Ma volonté est telle qu’un jour je pourrai laisser retomber ma main sur la vôtre alors que je serais pris d’étourdissement de sentir votre haleine fraîche si proche de la mienne.

Telle qu’elle se trouve, je vous montre l’état de mon âme, après avoir assez réfléchi à la validité d’exposer mon esprit. Pourquoi aurais-je à déclamer contre mes passions ? Ne sont-elles pas la seule chose divine qu’il y ait sur terre, la source inépuisable de toutes choses, de la poésie, de l’enthousiasme, de l’heroïsme, de la musique, des arts et de la nature enfin ? Je vous sens dans ces arbres qui environnent ma demeure ; de mon balcon, je vous devine belle dans les nuages que le ciel éclaire. Je ne pourrais plus vous dire un seul mot pour que vous vous figuriez mes sentiments. Je me prendrais pour l’homme le plus affortuné si, plongé encore dans mes enchantements d’admirer votre visage au ciel, parvînt un seul mot de vous pour que je susse votre disposition d’esprit par rapport à mes dernières aveux.

Bien tendrement

Rodolphe

Denguin, le 23 septembre 1861

Published in: on 8 Mai 2013 at 20 h 11 min  Laissez un commentaire