Aller au ramassage

D’emblée, c’est tout simple. Une invitation pour aller à la ferme de mon oncle le plus âgé, celui qui garde encore l’haleine et les gestes des vieux immigrants Italiens qui étaient venus refaire leur vie sous un régime d’agriculture vivrière. Mon père s’engageait avec un enjouement presque puéril à ces promenades d’après-midi au cours desquelles on récoltait des raisins et des figues. Avec mon acquiescement inattendu à prendre part à cette aventure des temps révolus, j’ai vu croître l’enthousiasme dans l’allure de mon père, tout en me disant que cette rencontre avec un rite de mes aïeux allait me faire du bien.

Plusieurs virages et on arrive à un petit carré de terre en pente, coincé entre une colline et une rivière. Les nuages gris annonçaient peut-être déjà une giboulée d’été, saison douce dans cette région de collines. Si dans la capitale, il arrive à faire 35 °C en milieu d’après-midi, ici les thermomètres atteignent à peine les 27 °C. Deux corbeilles rondes en osier brut servant à recueillir les fruits sont rapidement sorties de la vieille Chevette durcie d’avoir tant roulé sur les pentes.

Le ramassage commence sans hâte, tout doucement, alors qu’une sorte de ramollissement gagne mon corps devenu nonchalant. Il vaudrait mieux découvrir l’endroit, tâcher de monter le terrain pour le voir de haut (attention quand même le chemin n’est pas si sûr). Je contemple la beauté tandis qu’ils travaillent. Le malaise qui s’est emparé de moi en me tracassant et en me reprochant que j’ai toujours été croupissant me laisse complètement indifférent. Voir toute cette verdure me rendait tranquille et m’émouvait. Un peu d’appartenance m’a assiégé.

Lorenzo Baroni Fontana

Published in: on 20 décembre 2013 at 0 h 08 min  Laissez un commentaire  

Trois frères discutant du rôle de Satan par rapport au désir humain

1

Euh, vous savez… je suis pris par Éros !

2

Que voulez-vous dire par là ?

3

Cela veut dire qu’il a énormément envie de baiser.

2

Quelle ignominie ! Un dieu ne pourrait pas être responsable par de si mauvaises affaires !

1

Vous avez raison, c’est plutôt un peuple de démons qui ribote dans ma cervelle.

3

Il prend plaisir à se laisser souiller par les boues de Satan, à se laisser assiéger par ce camarade cornu.

1

Je suis en proie aux ténèbres qu’il m’a préparées, un piège masqué de jeune vierge.

2

Satan Trismégiste est le maître des embûches. Il guette attentivement les victimes avant de les assaillir.

3

Je feins être enchanté à chaque assaut qu’il me fait.

1

Chaque fois que je vois cette vierge pure et fière, je sens comme que fourmillant un million de rongeurs immondes dans ma bite. J’ai envie de la violer, pris que je suis par Éros.

2

Gardez-vous de jamais parler insolement des dieux et de ne pas t’enfler d’orgueil. Les dieux aiment les modestes et haïssent les débauchés.

3

Satan Trismégiste aiment les pleurnicheur, il les prend par la queue et les avale jusqu’à l’enfer de ses entrailles.

1

Je suis un pécheur trois fois maudit !

3

Vous êtes un maudit faux-cul, mon cher frère, semblable à moi. Vous puez à l’hypocrisie.

 

Lorenzo Baroni Fontana

Published in: on 25 novembre 2013 at 20 h 08 min  Laissez un commentaire  

Tu és Rimbaud das mãos finas de piano

Tu és Rimbaud das mãos finas de piano
Em Paris na visita dedicada a Verlaine
As corridas de bicicleta, as mãozinhas trabalhando
Os pelos emaranhados dos dois cusquinhos
As guampas dos bois mastigadores, farras do pasto
Na boca macia dos campos e dos verdes, mãos chamando
Ralha uma cobra, mais um passo em frente !
Lá uma velha cantou, cantou, Pierrot, assim, assim
estendeu a mão, mãos com mãos finas de piano :
ou tu vai querer te esgualepar nesta lomba braba ?
Mas que lomba braba esta Paris de Verlaine !
Pierrot não aguentou e se chorou todo
Ainda quererá voltar a Tipasa, lá onde sol é mar
Onde mar é terra e terra é mundo todo
Ainda vai querer tomar onda no lombo de boca na areia.
Encontrar o que não se pode não é coisa que se faça !
Podendo ou fazendo, que se faça !
Ruínas humanas, sol, céu, azul e mar tomados
essa sorte é uma coisa só, pelando nas mãozinhas
finas de piano.

Lorenzo Baroni Fontana

Published in: on 24 octobre 2013 at 12 h 25 min  Laissez un commentaire  

« Se chercher dans les yeux des autres » ou l’inutilité des entreprises humaines.

« Première maxime, se dit Lucien, ne pas chercher à voir en soi ; il n’y a pas d’erreur plus dangereuse. » Le vrai Lucien – il le savait à présent – il fallait le chercher dans les yeux des autres, dans l’obéissance craintive de Pierrette et de Guigard, dans l’attente pleine d’espoir de tous ces êtres qui grandissaient et mûrissaient pour lui, de ses jeunes apprentis qui deviendraient ses ouvriers, des Férolliens, grands et petits, dont il serait un jour le maire. Lucien avait presque peur, il se sentait presque trop grand pour lui. Tant de gens l’attendait, au port d’armes : et lui il était, il serait toujours cette immense attente des autres. « C’est ça un chef », pensa-t-il. (pp. 238-239)[1]

 

Il faut se chercher dans les yeux des autres – voilà une maxime qui, de nos jours, est tout à fait véritable et productive, pas d’un côté aussi positif, par contre. Il me semble que la racine de ce sentiment se nourrit d’un besoin fougueux et anxieux de se faire toujours bien apprécier auprès des autres ou bien encore du besoin de s’assurer de sa propre valeur. Lucien traverse la nouvelle en liberté, en essayant de se chercher une identité qui lui soit remarquable. La source dans laquelle il entreprend cette recherche se trouve à l’intérieur de lui-même. Pourtant, il ne la trouvera que dans les yeux des autres.

On fait semblant d’être quelque chose d’important pour pouvoir se regarder utile dans le miroir qui est les yeux des autres. Il s’agit d’une sorte d’essence psychologique de l’auto connaissance. On a beau s’habiller à la mode, s’engager à la charité ou à la politique, écrire pour changer le monde, embaucher des ouvriers dans une entreprise géniale, s’épuiser dans une bibliothèque pour maîtriser les raisonnements des meilleurs savants au monde ; la seule vérité c’est que tout cela ne sert ni ne servira à rien, sauf à nous instituer une existence à partir du regard des autres, une place dans la nature, une trace de ce que nous avons vécu. Et voilà que cette bête sociale n’aura plus besoin de personne après la mort, mais, encore vivante, elle ne pourra se passer de ses semblables pour qu’elle puisse croire fièrement à l’utilité de ses trouvailles.

Lorenzo Baroni Fontana


[1] SARTRE, Jean-Paul. Le mur. Gallimard, Paris, 1939.

Published in: on 6 octobre 2013 at 18 h 04 min  Laissez un commentaire  

Raisonner, ce n’est pas cultiver ou la raison n’est pas une fleur

Je voudrais savoir lequel est le pire, ou d’être violée cent fois par des pirates nègres, d’avoir une fesse coupée, de passer par des baguettes chez les Bulgares, d’être fouetté et pendu dans au auto-da-fé, d’être disséqué, de ramer en galère, d’éprouver enfin toutes les misères par lesquelles nous avons tous passé, ou bien de rester ici à ne rien faire ? (pp. 116-117)[1]

[…] Le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin. (p. 119)

[…] quand l’homme fut mis dans le jardin d’Éden, il y fut mis ut operaretur eum, pour qu’il travaillât, ce qui prouve que l’homme n’est pas né pour le repos. – Travaillons sans raisonner, dit Martin, c’est le seul moyen de rendre la vie supportable.  (p. 120)

 

À la fin du conte, le philosophe Pangloss tâche encore de raisonner sur des événements catastrophiques qui leur sont arrivés en les prenant comme importants pour que les personnages puissent en tirer profit et améliorer leurs vies à travers la raison et la comparaison ; ce à quoi Candide répond qu’il vaudrait mieux se taire et cultiver le jardin. Une morale s’y éclaircit enfin : travailler pour atteindre le bonheur et pour fuir l’ennui. Si je n’ai pas tort, cela veut dire que si on raisonne, on s’ennuie et on meurt ; si on travaille, on s’occupe de la vie même et on s’en réjouit.

Si mon arrière-grand-père, cultivateur indépendant de vignes, avait pu me voir aujourd’hui, il m’aurait sans doute giflé jusqu’à ce que je tombe. Je ne sais ni cultiver ni récolter, ni du blé ni des fleurs. Je suis dans une université pour connaître tous les bons raisonnements au monde, mais je ne saurais absolument pas me procurer ni de la nourriture ni de la beauté d’un jardin. En effet, le repos est la contrepartie du travail, et la réflexion est la conséquence du repos. L’ennui vient du fait de ce qu’il est impossible de vivre et de réfléchir de la vie à la fois. J’aimerais bien que mon arrière-grand-père fût là, encore vivant, pour qu’il pût me battre tout en me disant que, si je n’apprendrai pas à cultiver mon jardin, je mourrai ou de faim ou d’ennui.


[1] VOLTAIRE. Candide – présentation et dossier-jeu par Laure Meysselle. GF Flammarion, Paris, 1998.

Lorenzo Baroni Fontana

Published in: on 3 septembre 2013 at 1 h 59 min  Laissez un commentaire  
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Jeu pour apprendre à se connaître

Le principal trait de votre caractère ? – Moi, je dis que c’est la sincerité, la franchise. Certains diront que je suis trop dramatique.

La qualité que vous préférez chez un homme ? – La tranquillité, peut-être.

Et chez une femme ? – Pourquoi la différence ?

Le bonheur parfait, selon vous ? – Je crois qu’il n’y en a pas, mais je risquerais de dire que ça serait la paix complète, absolue, dans un endroit tranquille, avec beaucoup de verdure, pas de bruit, au sein de ma famille.

Le pays où vous désiriez vivre ? – L’Uruguay dans la culture duquel j’ai été élevé.

Votre dernier fou rire ? – La dernière fois que je me suis bourré la gueule, il y a quelques semaines.

Et la dernière fois que vous avez pleuré ? – Quand j’ai cru que j’allais mourir dans une situation fort délicate.

Votre film culte ? – Je n’en ai aucun, mais j’aime surtout ceux qui me font pleurer.

Votre plat de dimanche ? – De la bonne nourriture brésilienne.

Votre occupation préférée ? – Bavarder, écrire et voyager.

Votre écrivain favori ? – Aujourd’hui, c’est Maupassant ; demain, qui sait ?

Votre livre de chevet ? – Toujours celui que je serais en train de lire.

Votre héros ou heroïne dans la vie ? – Ma mère, sans aucun doute, qui a réappris à vivre après être devenue aveugle.

Et la figure historique que vous admirez ? – Je n’en ai absolument aucune. L’histoire, c’est nous, pas les autres.

Votre héros de fiction ? – Aucun !

Votre musicien préféré ? – Mon Dieu, plusieurs. Ça serait injuste d’énumerer.

La chanson que vous sifflez sous votre douche ? – Je ne siffle pas, je fais attention à bien me laver.

Votre couleur préférée ? – Surtout le rouge et le vert. S’il y a là quelque symbologie, c’est à toi d’en tirer la conclusion.

Que possédez-vous de plus cher ? – Vous prétendez vraiment que je te dise ? Si c’est cher, je le garde.

Les fautes pour lesquelles vous avez le plus d’indulgence ? – Celles qui ne touchent pas ma sensibilité et ça dépend de la circonstance.

Qui détestez-vous vraiment ? – J’oublie les personnes que je déteste, mais qu’elles ne me viennent pas me rappeler qu’elles existent !

Si vous deviez changer une chose dans votre apparence physique ? – Rien de rien !

Quel serait votre plus grand malheur ? – De me retrouver tout seul dans la vie.

Et votre plus grande peur ? – Le même

Votre plus grand regret ? – D’avoir fait du mal à ceux qui me souhaitent du bien.

Qu’avez-vous réussi de mieux dans votre vie ? – D’être celui que je suis devenu aujourd’hui.

Votre devise ? – Je déteste ça, allez vivre et pas penser avec la tête des autres !

 

Lorenzo Baroni Fontana

Published in: on 17 août 2013 at 2 h 42 min  Laissez un commentaire  

Quinze minutes

São Paulo, le 20 novembre 2012

Aujourd’hui, exceptionnellement, j’ai eu à prendre le métro lors de l’heure de pointe du soir, la plupart des vingt millions d’habitants de ce coin de monde se déplaçant pour rentrer à la maison, essayer de laisser reposer le corps et revenir demain au but de leurs vies. Curieusement, le wagon où je me suis installé était presque vide, ce qui m’a positivement étonné, et il n’y avait que cinq personnes que mon regard pouvait toucher : un groupe de trois filles, âgées de quinze ans environ, debout près de la porte et un couple assez mature et posé, assis sur les deux sièges à côté de moi. Alors que je tâchais de découvrir ce monde qui m’environnait, je pensais à ma vieille metteuse en scène qui me dérangeait quand elle me disait d’une voix aiguë et perçante que j’étais d’un caractère fort observateur.

Les trois adolescentes, surplombées par des sacs à dos, tenaient des livres et discutaient à haute voix d’un copain de classe ou d’un maître peut-être, ce qui leur faisait rire, crier, railler, en sautant, de temps à autre, pour exprimer leur excitation, malgré le train en marche. Elles étaient d’une mine éclatante de joie et pouvaient à peine contrôler leurs gestes légers, lorsqu’une d’entre elles racontait une drôle d’histoire concernant l’un de ces hommes.

En revanche, le couple d’à côté ne disait mot. Puisqu’ils ne se parlaient pas, je n’étais pas sûr s’il s’agissait véritablement d’un couple. L’homme avait les yeux fermés et une allure toute molle, peut-être à mi-chemin entre l’état de veille et de sommeil, accablé d’une fatigue mentale, morale ou physique. La femme, par contre, était toute éveillée et raide, bien que, dans un moment, il m’a semblé que, tout d’un coup, elle eût failli perdre connaissance. Elle jetait souvent un œil fixe et creux vers ces trois gamines souriantes, sans doute agacée par leurs éclats de rire et leur énergie encore enfantine.

Quinze minutes s’étaient déjà écoulées, lorsque ma station est annoncée et que j’ai dû me lever pour gagner la porte. Je suis sorti du wagon à pas lent en songeant à la convivialité immanquable dans une ville qui rassemble des groupes si hétérogènes dans ses veines. Subitement, j’ai été franchement réjoui, pour la première fois, d’être libre et singulier dans un pays qui m’a très bien accepté et accueilli et j’ai décidé que ça devrait être pareil partout dans le monde.

Lorenzo Baroni Fontana

Published in: on 20 juillet 2013 at 20 h 37 min  Laissez un commentaire  

Nous avions cru que le géant s’était réveillé…

(1) Première impression (le 19 juin 2013) : « Le géant s’est réveillé ! »

Pendant ces jours-ci, des milliers de Brésiliens descendent dans les rues des plusieurs villes pour protester. À São Paulo, les manifestants réclament surtout contre la hausse des frais des transports en commun.

São Paulo vit un effondrement croissant du système de transport public depuis des années. Au-delà du petit réseau de métro et de trains servant la banlieue métropolitaine, il reste peu de moyens permettant les déplacements de la plupart des habitants de la métropole.

Encore avant la hausse des frais des transports en commun, le mouvement Passe Livre, constitué par des étudiants universitaires, s’était déjà levé contre cette injustice – et, après l’augmentation effective qui a eu lieu le 2 juin dernier, ce mouvement social a déjà organisé jusqu’ici six manifestations dans la ville.

Jusqu’à la semaine dernière, les médias brésiliens ont déprécié les protestations, dont les véritables causes ont été cachées et n’ont mis en relief que les cas inusités et rares de vandalisme. Les éditoriaux des plus importants journaux de la presse aussi bien que le gouverneur de l’État de São Paulo, Geraldo Alckmin, ont fait l’éloge de l’action menée par la police et ont précisé que la répression policière pourrait augmenter au cas où la circulation fût compromise.

Par contre, après la quatrième manifestation, les excès de la police ont été diffusés dans les réseaux sociaux, ce qui a déclenché la révolte par rapport au manque d’apprêt des policiers avec les manifestants. Depuis, un changement de position de la presse a été observé. Les perturbations sociales des derniers jours au Brésil sont devenues des porte-paroles pour le droit de manifester.

(2) Deuxième impression (le 21 juin 2013) : « On nous a volé la voix ! »

Il y a dix jours, une manifestation contre la hausse des tarifs des transports en commun a eu lieu à São Paulo, organisée par un mouvement social appelé Movimento do Passe Livre (MPL). Ce mouvement de gauche est né parmi des étudiants de la faculté où j’étudie, Faculté de Philosophie, Lettres et Sciences Humaines de l’Université de São Paulo, il y a huit ans. Presque tous les mouvements et partis politiques de gauche y sont nés.

Le MPL se bat toujours pour la gratuité des transports, mais la revendication ponctuelle qui a déclenché la manifestation, il y a dix jours, était la baisse du tarif. Ce mouvement n’a pas de dirigeants et il se définit comme étant « horizontal » avec des sympathisants partout le territoire brésilien.

Bon, lors de cette manifestation qui a eu lieu il y a plus ou moins dix jours, la police a réprimé les manifestants avec violence. Le gouverneur de l’État de São Paulo et la presse les ont étiquetés comme vandales et casseurs et ont renforcé que si les défilés compromettrait la circulation, la répression serait encore plus violente. (J’attire l’attention une fois de plus sur le fait que le mouvement est composé par des jeunes de gauche).

Tout d’un coup, le lendemain, sans aucune explication, la presse et le gouverneur ont changé leur discours, désormais souteneurs des manifestations. Au même temps, on voyait plusieurs couches de la classe moyenne partout dans le pays, incitées par le Facebook, se lever contre des causes trop générales (la corruption, la dégéneration des services publics, etc.). Moi, particulièrement, je ne comprenais plus rien, je ne savais plus pour quoi exactement les gens se battaient. Le pays s’était levé, il y avait plusieurs revendications, et la presse conservatrice n’était plus contre ! (Quelque chose n’allait pas !)

A partir des pages Facebook et de la presse, toutes les deux incitant à des sentiments nationalistes et « antipartidaristas » (contre la participation de partis politiques dans les manifestations – lesquels ???), la droite s’est mise à exécuter une exhortation pour desqualifier le mouvement. Entre-temps, des gens avec des drapeaux du Brésil chantant l’hymne national, en criant des mots d’ordre nationalistes en faveur de la paix (????) sont apparus sur-le-champ. Le 20 juin, des groupes neonazi ont battu ceux qui étaient en rouge.

La plupart du peuple (dépolitisé) aujourd’hui est donc dans les rues pour la paix, la nation et contre le gouvernement. Qu’est-ce qui se passe ? Ça me paraît un cas de vol de voix ! Il n’y a pas eu une manipulation médiatique pour piquer un mouvement que, dans un premier moment, avait été soutenu par des forces de la gauche ?

David William Aparecido Ribeiro & Lorenzo Baroni Fontana

Published in: on 19 juin 2013 at 17 h 45 min  Laissez un commentaire  

Concours « 10 mots de la Francophonie » 2013

Cette année, j’ai eu l’honneur d’avoir le premier prix de la catégorie adulte du concours 10 mots de la Francophonie. Le défi consistait à écrire un courriel à un ami, en lui racontant l’expérience de s’installer dans une ville francophone quelconque. Le texte devait contenir au moins cinq des dix mots choisis pour cette édition parmi les mots, tournures et expressions empruntés à la langue française par d’autres langues comme l’allemand, l’anglais, le polonais, le portugais, le russe, le néerlandais, l’espagnol et l’italien – les mots semés au loin. Je diffuse intégralement  le texte ci-dessous, aussi bien que l’article paru dans Le Petit Journal :

Ma petite Lucy,

Me voilà qui t’écris, comme je t’avais promis. Je n’ai pas voulu le faire avant, puisque j’avais fort besoin d’attendre que mes premières impressions sur ce pays glacé mûrissent avec l’expérience. Je dois avouer pourtant que le froid canadien m’engourdit, surtout quand je sors faire les courses et que je suis contraint de passer au bord du lac Osisko où il n’est pas du tout facile de se protéger d’un vent furieux venant du nord-ouest. En revanche, je suis vraiment ravi de ma voisine Elodie qui m’a tant soutenu depuis mon arrivée et vis-à-vis de qui j’ai développé un fort sentiment de gratitude. Chez les Rouynorandiens on vit en équipe et on s’aide réciproquement. Les jours de grosse neige, les enfants prennent plaisir à se construire un bonhomme de neige tous ensemble. Depuis mon atelier de peinture, je les observe travailler et, peu à peu, leur bonheur de vivre, unique au  monde, réchauffe mes os congelés. Cet hiver rigoureux commence à me charmer.

Je t’enverrai d’autres courriels pour que tu sois au courant de tout.

Bisous

Laurent

*

http://www.lepetitjournal.com/sao-paulo/communaute/155750-concours-la-francophonie-a-l-honneur-dans-l-etat-de-sao-paulo

Lorenzo Baroni Fontana

Published in: on 14 juin 2013 at 3 h 05 min  Comments (1)  

La découverte de l’art d’être un homme

L’enfant découvre ce que c’est la nature d’un être humain

Le jour où la meilleure amie à ma maman était venue lui rendre visite et qu’elle m’avait pris sur ses genoux tout en lui disant que j’étais le plus joli petit mignon qu’elle eût vu, je réalisai qu’elle faisait semblant d’être gentille et que moi, à mon tour, je faisais peut-être, à cette occasion-là, semblant d’être le fifils de ma maman, quoique je ne fusse pas encore conscient de mon rôle. Ce jour-là, je fus amené à conclure qu’il était amusant de choisir un rôle différent à jouer à chaque circonstance vécue, surtout lors des enjeux hypocrites auxquels les adultes aimaient à se livrer. Un arbre est un arbre depuis l’étape de germination de la graine et, à ce que je sache, les arbres se sont toujours tous ressemblés dans leur passivité et dans leur obéissance végétale et immobile, alors qu’un homme peut faire agir un autre personnage que le sien, c’est-à-dire son vrai caractère, selon les circonstances. C’est sans doute depuis ces événements de mon enfance que je commençai à tromper Dieu, le pouvoir caché qui connaissait magiquement et qui jugeait tous mes secrets, mes tabous et mes méchancetés : je jouais le bon fils qui ne souhaitait que du bien à son père. Bien que j’eusse pris le risque d’être découvert, puisque Dieu était omniprésent et surveillait tout, même ce qui lui était laborieusement caché, j’essayais de croire à ce que je lui disais dans mes prières. Et je réussissais. Dieu était plus renseigné sur moi que moi-même, mais l’homme avait le pouvoir de jouer, de feindre d’être d’autres hommes.

Lorenzo Baroni Fontana

Published in: on 19 Mai 2013 at 5 h 27 min  Laissez un commentaire  
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En fouillant dans les affaires des autres…

Ma chère et bien estimable Emma,

Je vous avoue d’avoir cogité si longtemps avant de ne risquer d’écrire une seule ligne de cette lettre. Je réfléchissais à notre dernier rendez-vous à la campagne et à votre disposition d’esprit dont je garde encore la fraîcheur. Vous m’aviez demandé à l’occasion de cette rencontre si le bonheur nous était impossible, à nous, nous qui nous jetons toujours dans toutes sortes de fantaisies. Je vous répondrais qu’un jour on le rencontre, soudainement, quand on en désespère. Aujourd’hui, devant moi, les horizons s’entrouvrent, j’entends une voix qui me crie son existence. Je sens tellement le besoin de vous faire la confidence de ma vie, de tout vous donner, de tout vous sacrifier. Chaque fois que votre figure frappe mes yeux, je me sens découvert, fleurit une partie cachée de mon être qui est la légèreté et le bonheur dans tout son état de pureté. Je vous vois dans tous mes rêves.

Je me rends enfin compte que le trésor que j’avais tant cherché était là devant moi et qu’il brillait, qu’il étincellait sans cesse tel qu’une étoile éternelle. Je m’en suis encore méfié, cependant, je n’ai osé y croire, je suis resté ébloui, comme si j’étais sorti des ténèbres à la lumière. Ma volonté est telle qu’un jour je pourrai laisser retomber ma main sur la vôtre alors que je serais pris d’étourdissement de sentir votre haleine fraîche si proche de la mienne.

Telle qu’elle se trouve, je vous montre l’état de mon âme, après avoir assez réfléchi à la validité d’exposer mon esprit. Pourquoi aurais-je à déclamer contre mes passions ? Ne sont-elles pas la seule chose divine qu’il y ait sur terre, la source inépuisable de toutes choses, de la poésie, de l’enthousiasme, de l’heroïsme, de la musique, des arts et de la nature enfin ? Je vous sens dans ces arbres qui environnent ma demeure ; de mon balcon, je vous devine belle dans les nuages que le ciel éclaire. Je ne pourrais plus vous dire un seul mot pour que vous vous figuriez mes sentiments. Je me prendrais pour l’homme le plus affortuné si, plongé encore dans mes enchantements d’admirer votre visage au ciel, parvînt un seul mot de vous pour que je susse votre disposition d’esprit par rapport à mes dernières aveux.

Bien tendrement

Rodolphe

Denguin, le 23 septembre 1861

Published in: on 8 Mai 2013 at 20 h 11 min  Laissez un commentaire  

Un homme face à deux mondes et à deux « je »

Il arrive toujours ce moment où l’on ne se reconnaît plus dans le miroir à force de vivre sans reflet.[1]

Quand mon premier regard, curieux par nature, a frappé, en feuilletant hâtivement, les pages du livre L’énigme du retour de l’écrivain haïtien Dany Laferrière et que j’ai pu apercevoir que le texte était disposé tantôt en vers et tantôt en prose – du moins par rapport à l’arrangement des phrases sur la feuille –, je me suis demandé s’il s’agisserait véritablement d’un roman. Je ne peux pas oublier que je suis né à une époque et dans un endroit où il est impossible d’écrire un roman, celui-ci défini comme le récit de l’ensemble de la vie d’un individu vivant dans l’ère bourgeoise en Europe. Compte tenu de ce doute, je constate encore que l’auteur et moi sommes tous les deux produits de ce continent appellé Amérique, de la partie qui a subi plus ou moins les mêmes exploitations et les effets conséquents. C’est significatif de se voir près de l’auteur dont on va lire le livre ensuite, surtout lorsqu’il y a des éléments autobiographiques et que le récit est développé à partir des mémoires d’un je.

Avant de tomber sérieux sur la première page, j’ai cru donc prendre plaisir à cette lecture que j’ai faite lentement pour en mieux profiter – et, au bout du compte, à mon avis, la disposition du texte sert forcément à cela, pour que l’on profite du contenu du texte en s’arrêtant dans les espaces blancs pour y réfléchir (du moins c’est à cela qu’ils m’ont servi).  Je portais encore espoir d’avoir une peinture, voire des éclaircissements sur un pays qui m’était méconnu. Ce qui m’a vraiment frappé, par contre, c’est de me reconnaître dans les sentiments embrouillés de l’exilé par rapport aux deux mondes qui lui appartiennent.

Après l’avoir lu une première fois, j’ai eu l’impression de saisir l’ensemble des sensations confuses qui composent ce retour énigmatique, mais je voulais encore déchiffrer spécifiquement, parmi toutes ses sensations confuses, le problème d’appartenir à deux villes – ou plutôt deux pays, deux mondes d’abord opposés par la nature et par le soleil – et qui, néanmoins, se mélangent dans la mémoire touchée par la mort d’un père. C’est alors que je me suis rendu à une seconde lecture en tenant cet objectif en tête.

Retour vers Montréal. Fatigué. Je m’arrête sur le bord du chemin. Courte sieste dans la voiture.

Déjà l’enfance derrière les paupières closes Je flâne sous le soleil tropical mais il est froid comme la mort. (…)[2]

***

(…) Il n’est pas donné à tout le monde de renaître.[3]

Abandonner une famille et tout un monde rassurant exige de se faire renaître, de se donner d’autres significations qui désormais lui apparteniront. D’autres couleurs, d’autres odeurs et tout ce qui se manifeste du côté extérieur de notre corps d’une part ; et des valeurs sociales, des mœurs et tout ce qui se manifeste au sein d’une communauté d’autre part nous changent en nous accueillant (si je suis optimiste), mais ce que nous avons déjà, celui qui nous sommes n’est pas anéanti. Le je de Dany qui entreprend le retour à la terre natale, après autant d’années en exil, veut le soumettre à l’épreuve, pour savoir ce qui existe encore de celui qu’il était avant le départ.

La première sensation du retour, dès que les nuages permettent au regard angoissé de voir notre ville natale en nous attendant en bas encore toute petite, se manifeste comme une tentative de rattraper le temps, les objets et les sensations dont nous avons été éloignés. Pour accomplir cette tâche, nous devenons si observateurs de ce qui composait notre passé que nous nous rendons compte que nous en sommes détachés. Soit du paysage qui diffère de celui où nous avons vécu pendant les derniers temps et qui nous a suscité d’autres expériences corporelles et émotionnelles, car le climat change autant les couleurs, les humeurs, les espèces végétales et animales que la façon de sentir notre corps et de réagir à nos pensées. L’inclinaison des rayons du soleil a ce pouvoir magnifique de transformation.

Pourtant, si nous observons ce qui nous entoure, même si le but est de ramasser les morceaux du passé qui nous appartient, cette position d’observer est déjà le plus rassurant symptôme de notre détachement par rapport au monde que nous essayons de redécouvrir.

De retour dans le sud après toutes ces années je me retrouve dans la situation de quelqu’un qui doit réapprendre ce qu’il sait déjà mais dont il a dû se défaire en chemin. J’avoue que c’est plus facile d’apprendre que de réapprendre. Mais le plus dur c’est encore de désapprendre.[4]

Ceux qui nous étaient proches deviennent d’étranges fantômes, nous ne reconnaissons plus les mœurs et les idées surannées sur lesquelles notre vie s’appuyait et desquelles aujourd’hui nous tâchons de nous rapprocher. Le je de Dany l’a fait à cause de la mort d’un père distant, c’est-à-dire, la mort a déclenché cette recherche, mais d’autres facteurs moins dramatiques suffiraient pour la déclencher. Sortir en quête des morceaux de la vie de nos parents c’est tout à fait nous découvrir nous-mêmes, voire un passé qui est derrière nous, voilé et énigmatique encore, et qui a, pourtant, quelque chose d’importante à nous dévoiler sur celui qui nous sommes.

De toute façon, le deuxième moment, plus saisissable, du retour vers nous-mêmes face à un passé effacé – mais vivant dans la mémoire et dans les sensations – est celui de la douleur. Il s’agit de la douleur de renaître (et encore) en se trouvant en débris, la douleur de se voir transformé par une autre realité et de ne pas savoir exactement à quoi appartenir. Il y aura peut-être une mère – ou quelqu’un d’autre – qui nous aura gardé une copie de nous-mêmes dans le passé. Ma grand-mère croit me connaître comme personne ne l’a jamais fait justement parce qu’elle connaissait mes attitudes lorsque j’étais petit. Je me fâche quand elle se juge meilleure que moi-même pour décider les affaires qui me concernent, mais au fond elle ne fait que garder l’enfant que j’ai été un jour et qui lui est encore vivant, malgré l’adulte que je suis devenu.

Nous avons deux vies. Une qui est à nous. La seconde qui appartient à ceux qui nous connaissent depuis l’enfance.[5]

À la fin du livre, lorsque l’auteur annonce le temps enfin revenu, le temps heureux de sa grand-mère, il ne me semble pas être en face à une résolution que nos yeux ivres de roman attendent – et presque exigent – impatiemment. Si je reviens au titre du livre, comme toujours je le fais, l’énigme continue d’exister et il se fortifie, car nous prenons conscience que le temps seul peut ranger cet embrouillement de sensations de perte et de réussite, d’autodéfinition et de manque d’autodéfinition. Dany fait de son livre un presque journal intime où il raconte ses expériences d’un retour dramatique à un monde dont il perd et rattrape les significations à la fois à tout moment. Au début, il avait déjà annoncé qu’il prendrait la route de la vie sans destination et c’est exactement cela qu’il nous peint. Chaque moment qui se lui présente intéressant il le peint à partir de son regard minutieux de réalisateur, toutes scènes enchaînées dans le but d’exprimer l’âme d’un exilé qui rentre dans son monde d’avant.

Je le comprends alors comme étant un véritable auteur de mon temps, un artiste qui travaille ses matières émotionnelles internes tout en les mélangeant à la réalité qu’il saisit et qu’il interprète. Il cherche à faire partie d’un monde qu’il a perdu sans se faire défenseur d’une idéologie – et s’il l’a voulu faire, ce n’est pas important pour moi, car un lecteur ne lit que pour se retrouver, ou plutôt pour échanger des expériences avec quelqu’un qui le comprend en silence. Quoi qu’il en soit, toute l’entreprise humaine a comme but d’ajouter du sens aux nécessités internes et il ne serait pas différent par rapport à la lecture.

Vous avez l’impression qu’on ne vous écoute pas ? Les gens lisent pour se chercher et non pour découvrir un autre.[6]

Dans un monde où les déplacements deviennent de plus en plus faciles et où toutes sortes de différences sont mises en contact, c’est bien tout naturel que l’on fasse face à de différentes façons de se concevoir, même si on est fier de la terre natale et de qui on est. Le plus important c’est de choisir à quoi appartenir, puisque le choix est le reflet d’une inquiétude interne. Si un exilé ne se reconnaît plus dans le miroir à force de vivre sans reflet, cela veut dire qu’il a deux côtés qui ne se sont pas encore harmonisés : l’un qu’il ne voit plus, mais dont il n’ignore pas l’existence ; l’autre qu’il voit, mais avec lequel il est encore en conflit. Il part donc pour retrouver le premier et finit par mieux comprendre le second.

En grimpant la petite côte qui mène vers la place Saint-Pierre, je pense tout à coup à Montréal comme il m’est arrivé de penser à Port-au-Prince quand je suis à Montréal. On pense à ce qui nous manque.[7]

Lorenzo Baroni Fontana


[1] LAFERRIÈRE, Dany. L’énigme du retour. Libraire Générale Française: Paris, 2011, p. 26.
[2] Idem. Ibidem, p. 18-19.
[3] Idem. Ibidem, p. 21.
[4] Idem. Ibidem, p. 121.
[5] Idem. Ibidem, p. 264.
[6] Idem. Ibidem, p. 32.
[7] Idem. Ibidem, p. 149-150.
Published in: on 13 avril 2013 at 20 h 48 min  Laissez un commentaire  

La francophonie aujourd’hui : deux voix

1. Première voix

Au bout de trente ans, la mondialisation économique soulève des questions concernant la diversité linguistique et culturelle sur la planète. Grâce aux nombreux moyens de communication qui sont des fenêtres ouvertes au monde, les individus ont pu mieux comprendre ce monde, une évidence de ce que la mondialisation est aussi économique que culturelle. Dans ce cadre d’ouverture des sociétés, la mondialisation peut signifier la perte d’identité pour les sociétés les plus pauvres, d’où surgissent des conflits par rapport aux différences culturelles. Il faut apprendre donc à gérer les différences tout en mettant en cohabitation la diversité de la planète.

La francophonie et d’autres domaines linguistiques et culturels amènent les peuples à une identité de relations, puisqu’elles leur permettent de faire des échanges de valeurs et de mettre en contact leurs différences face à la possibilité de la fermeture qui aujourd’hui peut devenir dangereuse. Le partage et le respect de la différence conduisent obligatoirement à une communication où l’échange d’informations tient compte de toutes les voix possibles, sans lesquelles il est impossible à la francophonie de faire cohabiter les différences. La francophonie est l’espace potentiel des échanges, des dialogues et de la rencontre des cultures diverses sous une langue qui représente un imaginaire, un regard vers le monde, toujours en prenant en considération toutes les histoires, les peuples et les déplacements de conscience. Elle pourra être l’un des protagonistes de la diversité culturelle, pourvu que les stéréotypes négatifs de la colonisation soient dépassés et que les pays puissent ouvrir leurs mémoires et les faire entendre. La société civile sera la protagoniste dans l’engagement pour la francophonie, un projet conçu dans la vague de la nouvelle mondialisation qui a pour but de mettre en relation plusieurs identités fraternelles au sein d’une langue commune.

2. Deuxième voix

Je ne mets pas en doute le changement de conscience que la France doit entreprendre aujourd’hui pour s’ouvrir aux différences qu’auparavant elle a tant combattues. Néanmoins, s’il existe véritablement un tel projet altruiste de francophonie, il faut par-dessus tout comprendre qu’il n’y a plus un protagoniste, un centre (la France et la langue de Paris), mais plusieurs protagonistes, plusieurs centres, c’est-à-dire, il n’y a plus une langue française, mais plusieurs langues françaises.

Même si, par exemple, le slogan de la TV5Monde – celle-ci clairement engagée dans ce projet de la francophonie – montre cet état de conscience, la chaîne émet des émissions presque exclusivement françaises et québécoises. Où sont les émissions maliennes, sénégalaises, congolaises, haïtiennes ? Ou ces peuples ne servent que pour faire figurer les annonces-amorces qui démontrent au monde que la chaîne s’occupe d’eux ? De plus, qu’est-ce que la francophonie va faire des autres plusieurs langues vivantes dans les frontières arbitraires des anciennes colonies ? Et les richesses culturelles que ces langues représentent ? Je pose des questions, car  il me semble que personne n’est encore capable de répondre à une seule convenablement.

Si, au lieu de choisir parler français, un non-francophone est contraint à le faire pour que, disons, il puisse mieux profiter des avantages offertes par la langue du pouvoir, la francophonie deviendrait une violence et ne lui servirait à rien. Si j’ai choisi d’apprendre la langue française, cela ne veut pas dire que j’ai choisi de servir à une autre culture que la mienne, mais bien l’inverse, c’est plutôt la langue qui va servir à ma subjectivité. On ne parle ni n’apprend à parler une langue pour s’anéantir. Ce sont des sujets qui doivent être débattus quand on fait face à des projets de politique linguistique qui touchent nécessairement les identités et les mémoires des peuples si différents.

Lorenzo Baroni Fontana

Published in: on 16 mars 2013 at 18 h 15 min  Laissez un commentaire  
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La chute mortelle d’une femme

Le sud-ouest français peut être consideré comme la région française la plus  « ibérique » du pays, ce qui m’amène à conclure que cette région singulière offre toutes sortes de charmes qui attirent le peuple arabe du sud européen et du nord du grand continent africain, depuis la Péninsule Ibérique, heureusement pleine d’eux, jusqu’au sud du Sahara, accablé par des malheurs continuels et par des guerres déraisonnables et où on fuit pour chercher de la paix que les anciens maîtres métropolitains n’ont jamais su connaître à cause de leur pauvreté matérielle et spirituelle. La relation parmi ces divers peuples entourant la mer Méditerranée est véritablement merveilleuse ; comme une mère fertile, elle baigne des cultures venues d’assez loin qui, toutes rassemblées autour de la mère, finissent par faire des échanges, se mélangent et se rassemblent jusqu’à la fusion, celle-ci si harmonieuse qu’est réveillée la jalousie du nord, envieux de la chance de ces enfants qui ont tout ce qu’il faut pour bien vivre, le soleil, des fruits et de l’eau chaude et riche d’une mère généreuse.

Dans la charmante région ibérique de la France a eu lieu un événement catastrophique cette semaine que l’on pourrait dire dans les journaux avoir été déclenché depuis une dispute familiale – et plus spécifiquement dans la région de Bègles, tout près de Bordeaux, où la rencontre de la Garonne avec le beau soleil d’été du vingt-trois août devrait rendre heureux n’importe qui – entre une femme d’une quarantaine d’années et son mari à peu près le même âge qui, semble-t-il, après s’être violemment disputés et engueulés, suivent chacun son chemin : elle à son cercueil au Maroc et lui à une arrestation dans la ville où a eu lieu le drame. J’essaierai d’exposer le fait en vers, moins foncés et plus directs, d’après ce que l’on a raconté à un journal de la région.

De nationalité marocaine
Une femme le mercredi soir
Habitant un immeuble
Dans la région Aquitaine
Décida de se jeter par la fenêtre
Survenue d’un drame familial quelconque
Tombée du dixième étage
Se sont rendus sur place
Des pompiers, des policiers
Brigade criminelle
Morte d’une chute mortelle
On n’a plus de renseignements sur elle
Des enfants, la profession, le caractère
Tout ce qu’on pourrait dire
C’est qu’il est défendu de pleurer
Pour des choses
Qu’on ne peut pas contrôler
L’agonie et le désespoir humains

Lorenzo Baroni Fontana

Published in: on 21 février 2013 at 23 h 07 min  Laissez un commentaire  

Les langues du Pouvoir

À l’époque de la formation des États nationaux européens, la tâche la plus importante de la langue qui deviendrait langue officielle était l’effort et l’essai de constituer une identité plus ou moins unitaire sur un peuple partageant une certaine vision de monde. Pour atteindre cet objectif, il fallait faire répandre le dialecte choisi sur le territoire unifié – ce qu’aujourd’hui le journalisme télévisioné accomplit très bien en faveur d’une langue neutre dont la situation d’énonciation est à moitié créée artificiellement.

Dans L’aventure des langues en Occident, Henriette Walter met en lumière qu’en Italie, par exemple, le dialecte de Florence est devenu officiel à partir de l’unité italienne en 1861 et désormais le toscan s’est généralisé et s’est imposé comme la langue italienne, comme nous la connaissons aujourd’hui, sans prendre conscience exacte que jadis elle ne s’agissait que du dialecte toscan de Florence. Avant même de l’unité de l’État, on peut dire que Dante Alighieri – qui, en outre, a établi les domaines des langues d’oc, langues d’oïl et langues de si dans De Vulgari Eloquentia – s’est mis en quête de la recherche d’une langue parfaite pour tous les habitants de l’Italie. Par contre, à la deuxième moitié du XXème siècle, on commence à prévoir l’accroissement des usages linguistiques de la région Nord de l’Italie, économiquement puissante aujourd’hui – et, par conséquent politique, culturellement plus notoire et plus valorisée en Italie. De nos jours, la variété de formes reste considerée comme normale en Italie à un tel point que l’on ne constate pas ni en France ni au Brésil – qui présente des différences régionales surtout à ce qui concerne la sonorité et la prosodie. À ce qui concerne l’établissement des autres langues romanes, il en va de même : il était toujours question d’un pouvoir qui voulait se faire répandre et centraliser son domaine à partir d’une langue commune.

D’un autre côté, le choix de la langue officielle fait par un groupe qui veut accéder au pouvoir d’un territoire unifié implique plutôt un anéantissement des langues des Autres (c’est-à-dire tous qui ne partagent pas la même culture par rapport à un Moi) et de toute leur identité, telle qu’il est arrivé à des colonies françaises en Afrique – comme le Mali –, ce que me semble une véritable violence. La roue de l’histoire tourne vers la même direction à tous : auparavant, il était déjà arrivé aux États européens de choisir une langue parmi plusieurs autres pour la transformer en langue officielle d’un territoire unifié, et ces plusieurs autres peuples ont subi à peu près les mêmes violences culturelles.

L’histoire de l’Occident racontée par lui-même nous a toujours fait croire à la pureté des langues nationales européennes et de leur peuple correspondant par rapport à notre richesse culturelle apuyée sur le métissage. Voilà que l’on constate qu’il n’existe pas de langue pure – et évidemment pas de peuple pur non plus – et que l’Europe a été construite à partir des riches mélanges (et ses langues le démontrent). La formation culturelle d’un peuple se réalise à travers les échanges et les mélanges avec d’autres peuples et il serait impossible de concevoir une culture complètement fermée aux influences des Autres, quoique la conscience d’une identité relativement fermé soit décisif pour l’estime et le sentiment d’appartenance d’un peuple. Ici la langue joue le rôle le plus important, puisqu’elle est l’instrument par lequel une collectivité s’exprime et, de surcroît, la langue est l’instrument à travers lequel les objets du monde sont dévoilés et déchiffrés. C’est pour ça que la langue est un objet délicat, un instrument dont le pouvoir conquérant peut s’emparer pour faire qu’un peuple subisse toutes sortes de violences identitaires.

Walter met en évidence les échanges lexicaux parmi les pays de langues romanes dès le début de leur formation à partir du latin vulgaire, soit pour des affaires politiques et économiques, soit pour la mode, ce qui constitue aussi un échange culturel et parfois même une façon de coloniser culturellement un peuple. Puis la découverte du Nouveau Monde, ces échanges arrivent aux langues d’Europe et aux langues indigènes. Une langue est un système linguistique ouvert. C’est ainsi qu’en portugais on trouve des emprunts lexicaux au toscan, au castillan et au français, qui étaient déjà enrichis par d’autres emprunts. Pourrait-on dire que le portugais brésilien a emprunté des mots au portugais de Portugal ? Peut-être, si l’on considère que le portugais de Portugal soit un autre système linguistique. Je nomme plutôt toscan et castillan au lieu d’italien et espagnol, respectivement, pour garder la conscience – portée par Walter – des origines de chaque langue nationale, qui, quoi qu’elles aient atteint cette position privilegiée, restent des langues qui ont pris naissance à partir de la vision de monde et des habitudes de la ville de Florence – pour le toscan – et du royaume de Castille – pour le castillan.

Lorenzo Baroni Fontana

Published in: on 24 janvier 2013 at 18 h 27 min  Laissez un commentaire