Journal de bord (cinquième partie)

Fin mai, la lumière solaire devient de moins en moins puissante, l’hiver approche. Ces transformations qui ont lieu au cours de chaque année me frappent, je ne puis y être indifférent, une révolution des angles entre la Terre et le soleil éclate et les conséquences ne tardent pas à se rendre évidentes. Sur terre, le mois de mai marque un autre genre de révolutions, les révolutions automnales. Faute de justice sociale, plusieurs secteurs sociaux arrêtent leurs activités afin de se faire entendre, les revendications concernant notamment à des augmentations salariales. De ce fait, il y a des grèves partout et la ville, dont les habitants, le plus souvent, sont contraints à se porter froidement les uns envers les autres, puisqu’elle n’offre (nullement) aucun espace de socialisation, devient la scène des drames les plus roboratifs que je n’aie jamais vus. J’apprends, non sans une pointe d’enthousiasme, que je ne suis pas entouré de fantoches automatisés. Au moins pas tout le temps pendant l’année. Il est des moments où je sens comme si je me redressais, malgré une pointe de mélancolie persistante. Les plusieurs grèves qui se sont abattues sur São Paulo en ce mois de mai 2014 ont déterminé une pause dans les activités de français, mais je me suis acharné à continuer d’écrire le journal, même si je n’ai pas souvent grand-chose à dire. Ça reste un moyen de s’entraîner quand même, de dire sa haine et sa honte de façon plus discrète et plus saine, en prenant garde à toujours respecter l’autre, même lorsque, dans un élan de révolte, on est persuadé que cet autre n’en mérite guère. J’ai eu beau retrouver le fil de mes pensées, je l’avais perdu à tout jamais. J’avoue que mes jours de créativité se sont éteints, je soupçonne et je porte espoir qu’un immense réarrangement se fasse en ce moment dans mon esprit.

Je suis né un mercredi, le mercredi premier juillet 1987, j’avais été chuchoté en plein printemps neuf mois avant. Je n’étais pas le produit d’une soirée tiède et romantique d’amour entourée de fleurs colorées du mois d’octobre, et je me suis annoncé le premier jour d’un mois glacial au beau milieu d’une matinée froide d’un hiver austral à trente degrés de latitude sud. Mes parents ne me voulaient pas de prime abord et j’ai dû beaucoup pleurer pour que ma mère me garde et pour que mon père ne me jette pas dehors, soupe au lait depuis toujours. Ce jour-là, j’ai eu tellement froid que l’idée de revenir au paradis tropical où je me trouvais la veille, plongé dans une piscine chaude d’ombres muqueuses, ne me quittait pas. Et pourtant, je n’ai pas eu d’autre choix que de monter dans ma bagnole et partir découvrir mon nouveau foyer, mon nouveau coin. Il paraît que je n’en étais pas content. Et je ne suis toujours pas content. Qu’est-ce que cette idée de tirer une balle dans la putain de tête de celui-là me revient sans relâche ! Pour la première fois, j’assume mon côté méchant, je ne suis plus vierge, je suis humain, je baise partout, appelle-moi salaud. Arrête de te moquer, je parle de toi, j’ai froid aux yeux, il faudrait qu’un jour on surmonte la coquille, il est temps d’une révolution des mœurs, d’une révolution qui bouscule les destinées sans amour et sans franchise. Le manque de sincérité est le manque d’amour. J’avoue ma haine, j’avoue mon aigreur afin d’en être purifié. J’ai vécu plusieurs années coincé dans un labyrinthe en feu dont je n’ai pu retrouver ni les sorties officielles ni les sorties de sécurité. Au moins j’ai pu me réchauffer et ramasser l’énergie dont j’aurais besoin dans l’avenir. J’ai encore quelque brûlures çà et là… Tu veux les voir ?

Lorenzo Baroni Fontana

Published in: on 20 juin 2014 at 21 h 21 min  Laissez un commentaire  

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